Si le hasard t'emmène jusqu'ici, ne fuis point
Surfe et erre sans fin sur le blog du baladin
Smurfe dégingande-toi au sein du bal à daims
Avec imagination, Sans invitation
Ta religion est l'insubordination ?
Alors gausse-toi ici nul n'est bouffon
ni branque ni saltimbanque honnie soit sale ta banque
Juste des pions décidés à enfin décider
dans un bal laid où déambulent des daims
Manifestant leur insoumission avec dédain
LeonnicAsurgi@yahoo.fr


Réseaux neuneuronaux

Il semblerait qu'il vaille désormais mieux être mal accompagné que seul. Dylan nous avait prévenus que les temps changent, ses vers sont bibliques pour les avertis, désenchantés, mais comme il n'a jamais été réseaunable, seules ses notes, déversées, résseaunent dans les oreilles des plus jeunes, des réseaux nés.

Vade Réseaux satana : ce n’est pas un scoop, on n’est plus rien sans réseau ; indétrônable, indispensable, non réseaurbable ; le réseau plie mais ne rompt pas.

Comme dit si bien Verlaine, comme dit Gainsbourg (on ne peut plus rien dire ni écrire qui n’ait déjà été exprimé sur les réseaux), en route mauvaise troupe ! On vit en meutes virtuelles, prisonniers d’un gigantesque parc rézoo logique où on ne sait plus qui observe qui, où est le vice et versa, entre neuneus, joyeux drilles, amers, résignés, déçus de la rue de Réseaulferino, loups dans la bergerie, chevaliers du réseauDiaque, profiteurs ; on est tous prisonniers de l’hyper connexion, avec ou sans bracelet électronique.

Alors, est-ce une fatalité, quelles (ré)solutions pour s’évader du parc réseaux logiques ?

En y jouant avec des inconnus dans une réalité virtuelle augmentée, ces rézonards réels jouant le rôle de l’ordinateur (en référence à une époque où on jouait contre l’ordinateur) investis d’une mission de contrespionnage philanthrope (puisque l’Homme remplace ici la Machine en entrant dedans).

En roulant (sur les réseaux autoroutiers, pas dans la farine), mais en quinconce sinon on se gêne, et là ça redevient rézoogène et nos instincts animaux se réveillent.

En se téléphonant, 2G, 3G, 4G, peu importe tant que j’ai.

En surfant via les réseaux sociaux qui annihilent les distances et superficies, détricotent superficiellement les isolements…et rabibochent les contraires : jamais la solitude et l’agoraphobie virtuelle n’ont été aussi proches.

En profitant des réseaux d’influence pour tirer son épingle du jeu, se positionner, écraser, cliver, exclure par copinage en triomphant parfois de la compétence, du talent et de l’intelligence : combien de chefs d’œuvre dans les cartons et torpillés par les réseaux de pensée unique ?

En s’adonnant à un exercice littéraire sous la contrainte, combinant des allitérations en réseaux, des alitées rations indigestes polluant les réseaux, où, quasi mort alités, on constate qu’ils ont colonisé et maillé les territoires, qu’il n’y a plus qu’eux qui m’aillent.

La solitude autrefois refondatrice est devenue anxiogène. On ne se supporte plus ou alors on s’autopsy. On perd vite en lucidité sans contradiction ou réconfort. On voit « sa » propre vérité donner le « la ». Et comme on a tous besoin des autres, on accepte les raisonnements tout faits, un réseau ne ment jamais. Mais ça n’empêche pas de contester les vérités pétries. On peut rester digne, droit, lucide, refuser les alliances de circonstance, les petits compromis fallacieux et s’imposer comme réseaulution de lancer le premier réseau regroupant ceux qui les snobent.

"Des idéaux recouvrés" (texte soumis au concours Edilivre 48H pour écrire - 22/11/2015)


Comme chaque soir, je suis ensuqué dans le métro, lessivé par une nouvelle journée de travail qui ressemble à s’y confondre avec la précédente. Métro, boulot et je m’apprête à compléter le sempiternel triptyque urbain en broyant du noir, en réalisant à peine que je frise l’indécence tant il y a de chercheurs d’emploi qui aimeraient pouvoir trouver le sommeil.
Pourtant, aujourd’hui n’est pas tout à fait comme les autres jours. C’est vendredi, c’est la fin de la semaine mais, surtout, selon une coutume venue d’Amérique dite « Friday wear », on peut porter un jean au bureau, il faut porter en jean au bureau, j’ai donc un jean. C’est très pratique car je suis en tenue de sortie, pas besoin de retourner chez moi pour me changer, de toute façon une fois rentré chez moi, je n’ai plus la force de mettre le nez dehors, comme si mon corps était pris en otage par une force supérieure et contraint de se diriger lentement mais sûrement vers mon lit.
Je suis donc en tenue décontractée, prêt à festoyer, sauf que je n’ai rien prévu. Mes amis ont leur vie, beaucoup ont fondé une famille, les autres s’épanchent sur facebook en attendant de la fonder, moi je vis seul et facebook ne m’amuse que quand je pense à des fesses de bouc.
J’ai sur moi le Pariscope et un journal, je les feuillette nerveusement, avec obsession. C’est maintenant ou jamais : si je ne trouve rien d’intéressant dans les minutes qui viennent, ce sera reparti pour une soirée solitaire et de blues à la maison. Comme d’habitude, mon premier réflexe : le programme du Bataclan. Bon, il faut dire que j’habite en face alors j’y vais souvent, par facilité, par praticité, mais aussi parce que j’adore le rock, et quoi de mieux que le rock pour combattre le blues ?
On est quel jour déjà ? Ah oui, vendredi 13 novembre. Les collègues m’ont saoulé avec ça aujourd’hui encore, comme chaque fois qu’un vendredi tombe le 13 d’un mois, jour des superstitions et des présages, heureux ou malheureux. L’un s’est fait piquer par une guêpe un vendredi 13 il y a dix ans, l’autre a trouvé une pièce de deux euros un vendredi 13 il y a deux ans, rendez-vous compte, cela suffit à entretenir un mythe. Bon, allez, stop, j’arrête de sombrer en plein cynisme.
Au programme : les Eagles of Death Metal, inconnus au bataillon, selon une expression d’un autre temps où nous étions en guerre. Bof. Sur le coup, je ne me sens pas l’envie de découvrir un nouveau groupe.
A la télé, il y a un match de football. C’est France-Allemagne. Ah, les souvenirs rejaillissent. Séville 1982 et ce match d’anthologie qui a marqué ma jeunesse. J’avais dix ans. Ce match au Stade de France me ferait rêver si le foot n’avait pas changé de monde, transformant des gosses sympa, passionnés, spontanés et intelligemment naïfs en enfants tricheurs et pourris gâtés à qui tout est dû. Je ne regarde plus le foot, le plaisir que me procure un bon match ne suffit plus à compenser le dégoût que m’inspire ce milieu. Et puis je n‘ai pas de bières au frigo, mais ce n’est pas une excuse, je pourrais en acheter sur le chemin. Non, elles ne seraient jamais fraîches à temps.
Je réalise que je suis vraiment noir ce soir, un peu rabat-joie, c’est peut-être parce que je suis seul que je suis miné, ou alors c’est pour cette raison que je suis seul. Suis-je devenu infréquentable ? Où en suis-je ? Je suis las. J’arrive. Station « Filles du Calvaire », je sors là tous les soirs, il faudra que je me renseigne pourquoi cette station s’appelle ainsi. Ces filles ont-elles vécu un calvaire ou tout simplement dans un calvaire ?
Je sors de la bouche du métro, de sa gueule, il fait doux. C’est l’été indien comme chanterait Joe Dassin s’il était toujours là ou l’effet du réchauffement climatique comme hurleraient les écolos si on les entendait. Ça fait du bien en tout cas. Il y a du monde dans la rue, ça s’agite. C’est une invitation à un peu de légèreté. Tout de suite, mes idées sombres se font la malle, je n’ai plus mal nulle part. Allez, il faut que je me remue. Je ne vais tout de même pas me laisser abattre ! Un concert de rock au Bataclan, ça secoue toujours les neurones. Il faut que je dézingue cette torpeur qui me colonise depuis que mes semaines se ressemblent et se succèdent, lisses, vierges d’adrénaline. Et puis, au moins, demain j’aurai une bonne raison d’être fatigué.
A priori, pas besoin de réserver, la notoriété du groupe est quasi-nulle. J’arrive au Bataclan et consigne mon sac et mon PC au vestiaire. Comme je m’y attendais, il n’y a pratiquement pas de queue. Ce n’est pas non plus désert. Ceux qui sont là témoignent d’un public typique de concert rock : des jeunes de corps ou d’esprit, faciles d’accès, rieurs, plus ou moins éméchés. J’échange avec quelques-uns, des mots ou des sourires, une jolie rousse me lance une œillade assez soutenue, c’est revigorant, je retrouve cette magie du concert où on se délecte à l’avance du spectacle qu’on va vivre.
Ça y est, ils arrivent (les rockers). Je les laisse enchaîner quelques morceaux avant de me faire une idée. Je ne vais pas m’emporter comme ça, je résiste, c’est toujours comme ça comme chanteraient les Rita Mitsouko, c’est peut-être un héritage de mon éducation judéo-chrétienne qui me fait culpabiliser et me sentir infidèle à Noir Désir et à Mano Negra chaque fois que j’aime un nouveau groupe de rock ; pourtant j’ai combattu cette éducation si fort que je suis devenu athée (un ami m’a d’ailleurs dit que c’est pour ça que je ne croyais plus en rien). Mais ce n’est bien sûr pas pour cette raison, tout le monde le sait, on est en mal d’idéologie depuis que le capitalisme a tout écrasé avant de péricliter à son tour, montrant ses limites et n’offrant pas d’autre solution que sauver sa peau, individuellement, avec pour leitmotiv de faire le maximum pour faire partie du minimum de nantis.
La jolie rousse me sourit à nouveau. Elle a un regard pétillant, plein de vie. C’est ma chance ! Poil de carotte est magnifique, de nombreux impacts de rousseur ornent son visage subtilement.
Les morceaux se succèdent. C’est pas mal ! Je craignais une tendance métallo, un peu trop hard mais c’est un bon groupe de rock. Les guitares ne saturent pas trop, la voix est rauque et puissante, je ne comprends rien aux paroles (ce qui m’aide à apprécier car, quand je focalise sur les textes, en général c’est que la musique ne me touche pas) et, surtout, la basse est au bon niveau. Une basse trop forte tue un concert, une basse trop basse donne une impression de fouillis de guitares. Autour de moi, l’intensité monte. La magie opère. Du bon rock qui réconcilie avec la vie. Et Poil de carotte me prend la main et m’entraîne dans un pogo prometteur !
Soudain, le trou noir. Des sons improbables, une basse venue d’ailleurs ? Des percussions made in USA ? Non. Des hurlements. Des cris. Une panique généralisée. Des mitraillettes cagoulées, des mitraillettes folles, ces Kalach qui circulaient librement au nez et à la barbe des forces de l’ordre (sans barbe) et dont on s’étonne qu’elles finissent par servir un jour. Des garçons bouchers venus de nulle part. Ce qui les distingue des musulmans : les musulmans croient en Allah, eux ne croient plus en rien. Des fous à lier (je tiens à m’excuser auprès du Groupe « Les innocents » pour le clin d’œil) armés face à nous qui sommes devenus des fous alliés. Les balles sifflent, se perdent, persifflent. La fille avec qui j’avais eu le temps de m’inventer un avenir tombe. Je m’écroule sur elle, d’autres simulent, moi non, je suis réellement anéanti, grièvement touché mais pas par des balles ; si j’en réchappe, Poil de carotte me manquera jusqu’à la fin de mes jours.
Je reprends connaissance. Plusieurs heures ont passé pendant lesquelles j’ai perdu conscience, entré dans une profonde léthargie. On nous évacue.
Tout a été dit sur cette boucherie mais on a peut-être oublié d’évoquer le sursaut créé chez les survivants qui se sentiront à jamais le devoir d’honorer les morts, de vivre aussi pour eux et, puisque l’espoir fait vivre (même s’il ne peut empêcher de mourir sans prévenance), l’espoir régénéré chez ceux qui l’avaient perdu (englués dans les tourbillons de la vie), dont je faisais partie et dont je ne ferai plus jamais partie (par décence), cet espoir de voir un jour le fanatisme éradiqué quand la société sera encore plus juste, cet espoir de voir le peuple à nouveau soudé, solidaire, au-dessus des querelles stériles de bas-étage, l’espoir d’un nouvel idéal de vie, de paix.
Ce matin je me lève, je vais travailler, mais mes semaines ne seront plus comme les précédentes. Je suis bouleversé, j’ai la chair de poule mais je me sens fort, animé d’une force insoupçonnée, investi d’une responsabilité énorme : la défense de notre société sur laquelle on tirait tous à boulets rouges, en amnésiques ou incultes. J’ai retrouvé l’espoir et des fantasmes d’horizons nouveaux, de liesse, d’envies collectives que je défendrai au risque de ma vie, en résistant, comme on savoure des idéaux recouvrés.